Autorité et roi dans la bible.

Tenter une réflexion sur l’autorité du roi dans le TaNaKh consiste à s’interroger sur le caractère ontologique du chef d’état. Notre propos ne saurait prétendre à l’exhaustivité particulièrement au point de vue des systèmes politiques, tant les expériences en ce domaine furent diverses au cours de l’histoire de l’humanité et des cultures. Le concept d’état est une notion moderne qui ne souffre aucune comparaison entre notre perception de l’état et l’idée que pouvaient se faire les anciens du principe de nationi. Toutes comparaisons écartées au strict plan des formes politiques, il reste un principe transversal partagé par la quasi-totalité des sociétés humaines, des plus politiquement organisées aux plus traditionnelles. Ce principe se trouve dans la nature des liens entre le peuple et ses chefs. Nous nous intéresserons donc au caractère universel de la nature de cette relation. La notable parenthèse de l’expérience moderne de l’anarchie, qui comme son étymologie grecque l’indique (an-archos) revendiquait dans le même temps la construction d’un modèle de société sans autorité, pouvoir, domination ou de relation hiérarchique entre les hommes et affirmait dans le même temps le refus de toute cause première en plaidant le primauté du principe de diversité sur celui de l’unicité. Cette expérience ne saurait nous faire oublier qu’il n’a jamais existé et qu’il n’existe toujours pas de société humaine sans chefs. Il n’est pas le propos d’un article aussi synthétique d’examiner l’origine de la légitimité du pouvoir, quoique le TaNaKh en fasse largement mention en centrant cette légitimité autour de trois thématiques directement en lien avec les époques durant lesquelles il fut rédigé. Ces trois thématiques à l’époque des patriarches sont le droit d’aînesse conférant le pouvoir légitime, l’état donné des situations, et l’état donné des individus ii.

 

Deux principes conducteurs et consubstantiels au judaïsme dès ses plus lointaines origines doivent guider toute tentative d’herméneutique. Ces deux principes sont l’affirmation sans appel d’un principe d’unité du monde (hénologie) et l’affirmation des vertus sociales et spirituelles issues de la soumission à la loi. En effet, le judaïsme ne saurait concevoir un modèle de société humaine dans l’anomie et en dehors d’un principe d’unité insécable.

Le TaNaKh postule dès « Berechit » de l’existence de principes d’hénologie, l’unité de l’homme avec le cosmos, l’unité absolue de l’espèce humaine, l’unité entre les hommes, le respect de l’éthique ayant pour conséquence implicite un principe d’unité entre les hommes et leurs chefs. C’est au cœur du discernement du principe d’unité que se trouve la compréhension du rôle ontologique des chefs du peuple ou des chefs d’états. Bien avant l’établissement d’une royauté en Israël il convient de s’arrêter un instant sur le rôle de Moïse. Moïse, prince d’Égypte, prophète de la loi de l’Eternel incarne à lui seul l’ensemble du peuple hébreu dans sa diversité. Il est le détenteur à la fois du pouvoir temporel et spirituel. Il posera également un principe qui n’aurait du jamais se démentir au travers de l’histoire humaine, à savoir la légitimité du chef du peuple comme détenteur des pouvoirs temporels et spirituels iii, même si le chef du peuple déléguait l’administration du sacré à un grand prêtre comme il le fit auprès de son frère Aaron. Le verset de l’Exode 4:16 est sans appel à ce propos « Lui ( Aaron), il parlera pour toi au peuple ; de sorte que sorte qu’il sera pour toi un organe et que tu seras pour lui un inspirateur. »

Ce verset expose d’une manière explicite le rôle attendu par un chef du peuple devant assurer le règne de la justice et le respect des principes éthiques, que nous formulons aujourd’hui en termes modernes par la cohésion sociale de la nation.

En effet aucune société humaine ne peut subsister très longtemps en niant les principes éthiques. Le rôle du chef du peuple ou du chef d’état comme inspirateur des principes éthiques se retrouve à plusieurs reprises dans le TaNaKh. Le fait que le chef du peuple et plus tard le roi incarne l’inspiration des principes spirituels, éthiques et ontologiques est  symbolisé par le rite de l’onction conférant aux yeux du peuple la légitimité du monarque.

Il n’est pas rare que le TaNaKh iv ait fortement influencé des cultures extérieures. Le rite de l’onction en est un des exemples les plus significatifs, attendu que les royautés chrétiennes furent ointes par des prêtes empruntant ainsi cette tradition directement au TaNaKh. Il y a lieu de s’intéresser à ce rite. Les rois d’Israël étaient oints, cette cérémonie marquait l’acte de légitimation des chefs d’états aux yeux du peuple. Elle ne fut pas pratiqué comme d’aucuns le laisse croire uniquement par des prêtres mais représentait au départ l’acte de passation du pouvoir d’un monarque à son successeur, comme ce fut le cas du roi Saül qui fut oint par Samuel avant d’être désavoué par l’Eternel pour avoir transgressé sa loi.

L’onction pratiquée par le grand prêtre, détenteur de l’unique pouvoir spirituel apparaît avec Salomon. En effet le roi DAVID mourant ne pouvant pratiquer ce rite confia cette tâche au grand prêtre en communicant à son jeune fils Salomon ces paroles «  Je suis prêt d’aller où vas toute chose terrestre, prends courage et sois homme ! Obéis fidèlement à l’Eternel, ton dieu en marchant fidèlement dans ses voies, en observant ses lois, ses préceptes, ses règles et ses statuts tels qu’ils sont écrits dans la loi de Moïse, afin que tu prospères dans toutes les œuvres et dans toutes tes entreprises » 1 Rois 2-3

 

La légitimité de l’autorité du roi David est tout à fait significative du rôle du chef d’état en qualité d’inspirateur des principes de l’Éternel. En effet il fut le seul roi à être oint deux fois, une fois par le roi légitime, Samuel « Et dieu dit à Samuel : Va oins-le, c’est lui. Et Samuel prit le cornet d’huile, et l’oignit au milieu de ses frères ; et depuis ce jour là, l’esprit divin de cessa d’animer DAVID »1 Samuel 16-13  puis à Hébron par les chefs des clans Judéens. « Tous les anciens d’Israël vinrent donc trouver le roi, à Hébron, le roi David fit un pacte avec eux à Hébron ; et ils le sacrèrent comme roi d’Israël »II Samuel 5-5

 

La seconde onction de David est intéressante du fait qu’elle indique pour la première fois en filigrane une légitimation de la fonction du roi par une oligarchie en d’autres termes par le peuple.

 

La littérature rabbinique  et le Talmud  ne sont pas en reste au sujet du rôle du roi ou du chef du peuple. Moïse Maïmonide consacre un long développement sur la symbolique du trône (kissé)v et sur sa comparaison avec le sanctuaire en indiquant que le trône ne peut être occupé que « par des gens d’illustration et de grandeur, comme les rois, et que par conséquent, il est une chose visible indiquant la grandeur de celui qui a en été jugé digne (guide des égarés p 41»

 

Cette conception du chef d’état comme inspirateur et incarnation des principes, a non seulement influencé la relation des juifs avec le pouvoir temporel par la fameuse formule talmudique «  La loi de l’état c’est la loi » que nous retrouvons dans l’Ecclésiaste 8-2 « Je te dis: Observe les ordres du roi, et cela à cause du serment fait à Dieu. » mais aussi la pensée occidentale. Nous continuons encore à notre époque à espérer dans l’aptitude de nos chefs d’état (maintenant le plus souvent élus), d’incarner les principes éthiques et de les mettre en application pour le bien de tous.

 

JMCL

Bibliograhie:

-le guide des égarés Moïse Maimonide Verdier

-La Bible Traduction Hébreu-Français  Texte hébraïque d’après la version massorétique  sous la direction du grand Rabbin Zadoc Khan BIBLIEUROPE

-Moïse par le Rabbin Daniel Jeremy Silver  Fayard

-Le Talmud  A.Cohen Payot.

i L’Etat et nation sont deux notions distinctes, l’Etat étant un territoire politiquement défendu par un pouvoir local contre la nation étant le peuple habitant sur ce territoire et défendu par ce pouvoir. A l’époque de Moïse il existe un peuple (nation) ainsi qu’un pouvoir politique (exécutif, religieux, et juridique) quoique les hébreux n’aient pas encore de territoire (Etat). En ce sens Moïse peut être qualifié de chef du peuple mais pas encore chef d’Etat. Le statut de chef d’Etat en Israël ne prend réellement son sens que lorsque le peuple hébreu conquiert la terre promise de Canaan.

ii Il conviendrait d’examiner les origines de l’autorité dans les régimes politiques ayant suivi l’époque de Epoque de Moïse. La vocation spirituelle personnelle de Moïse (révélation de YHVH au fil d’un certain nombre d’étapes listées par l’Exode) qui investit Moïse de son autorité en un temps où personne d’autre dans le peuple n’a envie d’exercer cette fonction : Moïse est sans rival ; sa seule difficulté est de convaincre le peuple de la possibilité de fuir d’Egypte, et à cette fin il va utiliser le pouvoir des signes pour s’accréditer auprès du peuple, et surtout accréditer son projet d’exode et ainsi se faire obéir dans cette fuite.

Epoque des juges : c’est l’Esprit qui, en s’emparant d’un être humain, fait de lui un chef d’Etat et l’investit d’autorité.

Epoque des rois : c’est le dernier juge (nom alors du chef d’Etat en Israël) Samuel qui, lorsque le peuple lorgnant vers le modèle égyptien ne se contente plus d’un juge mais désire un roi (avec trône, couronne, cour, palais, etc.), se trouve obligé de satisfaire le peuple en choisissant avec le conseil divin un homme capable de remplir cette fonction : le futur roi Saül. Mais Saül ayant été un roi injuste, Dieu et Samuel (n’exerçant plus que la fonction de grand prêtre pendant le règne de Saül) le désavouent, et Samuel avec le conseil de Dieu choisit alors un autre roi : David. Au temps du roi David, alors que le droit d’aînesse devrait s’exercer (cf. en II Samuel 3,2-5 et 5,13-16 les listes des fils de David par ordre de naissance et qui fournissent par là l’ordre des prétendants légitimes au règne, un cadet ne pouvant régner que si ses aînés décèdent ou refusent la fonction : on voit que Salomon n’occupe dans ces listes qu’une des dernières places), le prophète Nathan et l’une des dernières épouses de David, Bethsabée, intriguent pour faire du fils de cette dernière, Salomon, le successeur de David (au mépris donc du droit d’aînesse).Enfin après le schisme d’Israël en deux royaumes distincts, à l’époque où Alexandre et ses généraux ont conquis la Palestine qui n’est plus alors qu’une province de l’empire d’Alexandre, et alors que la dynastie étrangère, légale mais illégitime, des Séleucides règne sur la Palestine, c’est la résistance des prêtres Macchabées qui les investit d’autorité pour exercer un contre-pouvoir légitime en Judée (certains de ces résistants à l’occupant finiront même par devenir des grands prêtres).

iii Ce propos lapidaire demande à être explicité. La fonction de chef d’état implique pour exercer le pouvoir d’avoir l’ascendant sur les détenteurs du pouvoir spirituel. Cette pratique fut clairement mise en œuvre dans des états modernes. L’Angleterre étant l’exemple le plus significatif attendu que le chef de l’état est aussi le chef de l’église, empêchant ainsi toute velléité d’influence politique extérieure par le pouvoir spirituel. Il est d’ailleurs intéressant de noter aussi que même dans la très laïque France séparant clairement les pouvoirs le président de la république est nommé chanoine honoraire de l’église de Rome, lui conférant ainsi en principe un ascendant spirituel sur la confession majoritaire. La constitution plaçant comme le veut la tradition le pouvoir spirituel sous la coupe du chef de l’état. Il serait évidement faux de voir dans la délégation de l’administration du sacré sous Aaron l’équivalent d’un projet politique de séparation de « l’église » et de l’état dans la forme moderne de la loi de 1905. Toutefois, il ne faut jamais oublier que Moïse est aussi le garant de la diversité du peuple qui se rendra sur la terre promise. En effet parmi ceux qui traversèrent le Jourdain tous n’étaient pas hébreux comme l’indique sans la moindre ambiguïté la genèse en ces termes « Une multitude de gens de toute espèce montèrent avec eux; ils avaient aussi des troupeaux considérables de brebis et de bœufs » indiquant ainsi que Moïse était le chef charismatique d’un peuple forcément pluriel au plan ethnique, même si selon la bible leurs descendant s’agrégèrent aux hébreux pour se fondrent définitivement parmi eux.

iv Cette assertion demanderait à être précisé au sens ou le TaNaKh précède le Talmud. Le yahvisme (qui débute au temps des patriarches et s’achève avec la mort du roi Salomon) précède le judaïsme (qui apparaît à partir de la mort de Salomon lors du schisme de Sichem qui scinde l’Etat israélite en deux royaumes du nord dit d’Israël et du sud dit de Juda : en effet, dans la mesure où le yahvisme, lié au culte unique au temple unique de Jérusalem, la capitale du royaume de Juda, ne pouvait plus administrer la vie religieuse en Galilée et en Samarie, les deux provinces du royaume du nord, ce yahvisme se voit alors limité au seul royaume de Juda qui lui donne alors le nom de judaïsme).L’époque du judaïsme connaît elle-même deux périodes successives qui appellent une distinction, une précision : il y eut d’abord le judaïsme du temple de Jérusalem qui, après la destruction de ce dernier, sera suivi du judaïsme des synagogues (synagogal).

v Pour être tout à fait exact le trône avait été pensé et élaboré par les anciens égyptiens à partir d’une symbolique (principalement un cube surmontant un piédestal, le cube faisant référence au centre des quatre points cardinaux, symbole de la pratique de l’obéissance, et l’élévation sur un piédestal symbolisant l’espérance par laquelle le moi transcende son égotisme pour se consacrer à l’intérêt général toute entière relative aux grands principes constitutifs du divin.