L’emancipation des juifs en france

 

1 Introduction

Traiter du sujet de l’émancipation des juifs en France en trente minutes est une gageure. Le sujet est si riche, ses implications philosophiques et politiques si importantes dans notre société contemporaine en général et dans la société française en particulier, qu’il ne peut être abordé que de façon partielle.

1.1Problèmes et conséquences de l’émancipation.

Tenter de retracer l’histoire de l’émancipation des juifs en 2002 dans l’acception moderne du terme, c’est d’abord évoquer une étape essentielle de l’histoire du peuple juif de la diaspora. Mais l’émancipation est avant tout une lutte de libération politique et religieuse nous interrogeant implicitement sur les limites de tolérances d’une société, l’égalité de droits politiques, le multi confessionnalisme, le concept de citoyenneté, l’assimilation et l’intégration, la tradition et la loi coutumière, la laïcité, la notion du peuple élu.

 

Enfin pour le doctrinaire que je suis, c’est aussi un de ces formidables chocs de l’histoire des hommes, une de ces rencontres magiques dans lesquelles s’interpénètrent et se nourrissent la pensée et l’action de cultures différentes pour le bien collectif d’une société.

2 Définition de l’émancipation.

 

Avant même d’entrer dans le sujet proprement dit, il me semble important de définir avec précision le terme même d’émancipation, dans l’acception particulière qu’il revêt pour cette période de l’histoire juive.

 

Le terme émanciper vient du latin « emancipare »de manucapere «prendre par la main » et recouvre deux acceptions :

 

  1. L’acquisition d’un l’esclave avait lion le prenant par la main, le préfixe « e » marquant la cessation de l’action. Il s’agit là de l’affranchissement des esclaves de l’antiquité.

 

  1. D’autre part émanciper signifie affranchir un mineur de sa tutelle juridique.

 

En prononçant ces paroles dans une synagogue, il ne me semble pas nécessaire de développer ces deux définitions plus avant, tant elles sont lourdes de sens au cas particulier du peuple juif.

 

Je m’entretenais par courrier électronique avec un ami juif irlandais sur le sujet de l’émancipation des juifs en Europe. Ma surprise fut grande lorsqu’il me répondit:

 

Daniel O’Connell surnommé « le libérateur de l’Irlande »accompli l’émancipation par un acte du parlement britannique 1839 puis 19 ans plus tard approché par une délégation juifs britanniques il réalisa l’émancipation des juifs. Je pense qu’avant cet acte aux yeux de la législation britannique ni les catholiques ni les juifs n’existaient, d’où maintenant le fait que les Britanniques scandent  » Israël a le droit d’exister ». Je suis très fier du fait que l’Irlande soit le seul pays d’Europe dans lequel aucun Juif n’ai perdu sa vie au simple motif d’être né juif. Ce pays est, je crois, unique en cela ». Joe Briscoe.

 

Au-delà de l’aspect purement anecdotique sa remarque est d’une grande portée. Elle constitue en fait à elle seule la plus parfaite définition qu’il ne m’ait été donné de trouver sur l’émancipation des juifs et sur ses implications

 

En effet, l’émancipation fut originellement en 1828 le mot d’ordre des catholiques irlandais, par référence à la libération des esclaves antiques. Dès lors qu’ils acquirent l’intégralité de leurs droits politiques les juifs anglais s’approprièrent ce mot d’ordre dans leur légitime quête d’égalité de droits. Ce terme finit donc par s’appliquer à des événements politiques ayant en réalité eu lieu en France au siècle précédent.

 

Cette remarque liminaire écrasante de signification venant d’un juif irlandais descendant direct d’un des plus fameux libérateurs de l’actuelle République d’Irlande me fournit également indirectement une parfaite introduction au contexte philosophique et politique du 18éme qui précède d’un siècle l’émancipation des juifs en France.

3Les prémisses philosophiques de l’émancipation.

3.1La philosophie des lumières.

Dans l’Europe du 18e siècle toutes les formes religieuses prétendent à l’universalisme à la notable exception du judaïsme ne pratiquant pas la conversion des gentils. Cette position théologique sans appel du christianisme associée au modèle de religion d’état (catholique ou protestante) fait passer au premier plan la question religieuse, et confine les juifs en marge de la société. Les contre-exemples sont quasi inexistants. Il n’existe pas d’égalité de droits entre les confessions, les fonctions officielles restant réservées aux seuls pratiquants de la religion d’état.

 

Les intellectuels réagiront à l’aspect arbitraire et à l’intolérance de ces sociétés. Les philosophes des lumières vont mener un combat intellectuel pour la liberté, le triomphe de la raison, la lutte contre l’arbitraire, les discriminations, la liberté d’entreprise, l’abolition de l’esclavage.

 

Si la démarche est noble, les différents philosophes ne partagent pas pour autant un projet politique commun et n’en sont pas moins tout autant universalistes eux aussi. Le louable combat qui fut le leur ne tendait pas tant à l’acceptation des particularismes, qu’à la négation des différences au-delà desquelles prévalait pour eux la nature de la condition humaine. L’universalisme n’étant pas cette fois l’interprétation d’une volonté révélée mais l’expression de la raison, de l’expérience et d’un décryptage objectif des réalités.

 

Les positions de la philosophie des lumières à l’égard des juifs allaient en conséquence être infiniment contrastées. De l’antisémitisme avéré de Voltaire1 à l’extraordinaire tolérance du philosophe irlandais John Toland Dans son ouvrage « Reasons for Naturalising the Jews in Great Britain and Ireland, on the same foot with all other Nations containing also, a defence of the jews against all vulgar prejudices in all Countries (1714) » Toland détruit non seulement l’ensemble des arguments fallacieux de l’antisémitisme de son époque, mais rédige surtout un traité sur la tolérance et la citoyenneté qui reste un modèle du genre encore quasi inégalé à ce jour.

 

Note1« Les Juifs massacrèrent, dit-on, plus de deux cent vingt mille personnes dans la Cyrénaïque et dans Chypre. Dion et Eusèbe disent que, non contents de les tuer, ils mangeaient leur chair, se faisaient une ceinture de leurs intestins, et se frottaient le visage de leur sang. Si cela est ainsi, ce fut, de toutes les conspirations contre le genre humain,dans notre continent, la plus inhumaine et la plus épouvantable;et elle dut l’être, puisque la superstition en était le principe. Ils furent punis, mais moins qu’ils ne le méritaient, puisqu’ils subsistent encore (VoltaireDes conspirations contre les peuples ou des proscriptions 1766) »

Si le point de vue philo-sémitique de John Toland exprimé en 1714 tomba dans l’opportune sourde oreille de la philosophie de l’époque, il ne faut pas s’en étonner outre mesure. Effet la philosophie des lumières appelant notamment à la raison, eut entre autres combats le domaine des préjugés et des superstitions pour parvenir au concept déiste et laïque de la religion naturelle 2.

 

Il n’en fallut pas moins pour certains philosophes de reconnaître dans le judaïsme la forme originelle des religions instituées, et donc de tenir la question sur l’égalité des juifs à l’écart de leurs réflexions sur la lutte contre les préjugés. Montesquieu et Rousseau se distinguant toutefois en abordant la question juive sans référence à la religion, mais comme une problématique sociale et politique.

 

Si la philosophie des lumières n’a jamais constitué un mouvement de pensée antisémite, elle est en revanche parfaitement significative de l’état de réflexion du monde chrétien de l’époque sur le statut politique et religieux des juifs. La philosophie ne saurait être épargnée des paradoxes et des influences de l’opinion de son époque puisque par exemple Aristote lui-même admettait parfaitement dans ses écrits la société esclavagiste de son temps.

3.2La Haskala

Toutefois les travaux des lumières vont constituer un des piliers des prémisses de l’émancipation des juifs qui aura lieu un siècle plus tard. La première influence significative sera la haskala, version juive des lumières. Initiée par Moïse Mendelssohn (1729 -1786 )à Berlin en 1750, la haskala plaidait pour l’expression d’une attitude plus ouverte des Juifs à l’égard des valeurs profanes,du mode de vie des chrétiens, d’une réhabilitation de l’enseignement de l’hébreu, et d’un développement des sciences du judaïsme. Ce pendant juif au mouvement des lumières allait progressivement conduire à un abandon de la stricte observance religieuse et à l’assimilation.

3.3La centralisation de l’état et la révolution française.

Le troisième et dernier pilier des prémisses de l’émancipation sera quant à lui strictement politique. Il découlera en réalité de deux phénomènes,

  • La centralisation de l’état
  • Et la révolution française.

 

Il n’est pas dans le propos d’un exposé sur l’émancipation de développer de nouveau le statut des juifs sous la révolution française. Mais comme pour l’histoire des idées, il est rigoureusement impossible de parler de l’émancipation sans rappeler même brièvement l’apport unique de la révolution sur cet événement de l’histoire juive.

Le rôle de la centralisation de l’état dans le processus d’émancipation des juifs est capital. En effet la France de la veille de la révolution n’est pas un état centralisé tel que nous pouvons aujourd’hui le concevoir mais une fédération de provinces. Le royaume de France est une mosaïque de particularismes régionaux. Je ne saurais à cet égard que vous renvoyer à l’ouvrage d’Ernest Renan « qu’est-ce qu’une nation ? »

 

En effet cette future centralisation de l’état se donnera un objectif non pas fédéraliste mais normatif, même langue, même système de mesures etc. Les plus vifs défenseurs de cette thèse souhaitant l’aplanissement des particularismes régionaux, au nombre desquels n’échappait pas la nation juive de l’époque. Ce soucis décentralisation de l’état jouera un rôle capital tant dans l’émancipation que dans l’assimilation des juifs de France.

 

Note2 :Toland propose une définition de la religion naturelle dans son ouvrage «  Nazarenus or Jewish,Gentile, and Mahometan christianity »-«Oui je le dis : la saine raison et la lumière du sens commun font une règle éternelle et universelle sans lesquelles le genre humain ne peut subsister en paix et félicité une seule heure. C’est le traité solennel de toute société sur la terre, soit qu’il s’y trouve ou qu’il ne s’y trouve pas de religion révélée, c’est la seule chose qui est admise par toutes les révélations quelques opposées qu’elles soient entre elles à tout autre égard. (p.122) »

3.4 Portugais et Allemands

En effet si la France n’est pas encore un état nation, il en va forcément de même du statut des juifs, qui est loin d’être homogène dans le royaume.

 

Les juifs séfarades de bordeaux, appelés les « portugais »du fait de leur origine marrane étaient relativement intégrés et jouissaient d’un certain nombre de privilèges.

 

La situation était tout autre pour les ashkénazes de l’Est appelés « allemands » qui continuaient à se considérer comme une partie de la nation juive.

 

La Question de l’émancipation future des juifs de France ne possédait pas de caractère d’unicité.

 

3.5La participation des juifs aux états généraux.

La participation des juifs aux états généraux posa la question de leur naturalité.

Les juifs étaient-ils français ?

La qualité d’électeur aux états généraux était applicable aux habitants nés français, âgés de 25 ans et compris au rôle des impositions à l’exception de ceux qui étaient en état de domesticité ou privé de leurs droits civiques.

 

L’ambiguïté de ce texte concernant les juifs est évidente. En désignant leurs députés, les électeurs rédigeraient leurs cahiers de doléances. Ce dernier portant sur la détermination d’un impôt payé également par les juifs, il fut décidé qu’un seul cahier de la « nation juive » serait présenté, encore le fût-il par des députés gentils.

 

Sur plus de 40.000 cahiers de doléances 307 concernent la question juive, dont 304 proviennent des régions de l’EST. Si les cahiers traduisaient dans leur ensemble une faible hostilité religieuse, il n’en allait de même pour ce concernait les accusations d’usure. Seuls 9 cahiers de doléances réclamaient l’égalité de droits entre les juifs et les chrétiens. Il apparut très nettement que la question juive n’était pas au centre des préoccupations des états généraux.

3.6La constituante & la première émancipation.

Lors de l’adoption par l’assemblée nationale de la déclaration des droits de l’homme en 1789, les députés libéraux exigèrent l’abolition immédiate de toutes les limitations dont souffraient les citoyens juifs.

3.6.1 Les Positions sur la question juive.

Assez Rapidement les positions vont toutefois se trancher au sein des révolutionnaires. La question juive divise, en faveur ou contre l’émancipation. Si le camp des contres est presque exclusivement composé des députés de l’Est et des ecclésiastiques, le camp des députés en faveur des juifs est plus nuancé. Au nom d’une totale incompréhension de la doctrine chrétienne, certains clercs, au nombre des desquels il convient de citer le redoutable abbé Maury, brillant orateur, voient au travers des juifs non seulement une secte mais une aussi une nation.

 

« Les Juifs, non-seulement composent une secte particulière, mais encore une nation particulière : on ne peut donc les regarder comme citoyens. Ils ne peuvent donc être ni laboureurs, ni soldats,

Un général ne pourra s’en faire obéir un jour de sabbat. Toute leur industrie porte vers le commerce. Dans le Palatinat, par exemple, où ils ont des terres, ils ne les cultivent pas ; ils les font cultiver par des chrétiens qu’ils réduisent à un travail d’esclaves, tandis que ces Israélites, dans leur cabinet, calculent le profit qu’ils peuvent faire sur un ducat, sans être recherchés par la loi.  » ASSEMBLÉE CONSTITUANTE Séance du mercredi 23 décembre 1789

 

En revanche l’abbé Grégoire, au nom de la charité chrétienne sera le plus remarquable défenseur des juifs, même s’il ne faut non plus être candide, sur son acceptation du culte Israélite. Il n’en reste pas moins vrai que l’œuvre de l’abbé Grégoire reste un remarquable et unique monument en faveur des juifs de France. Cette position est à noter car il ne fut pas le seul ecclésiastique dans ce cas. D’autres plaideront également brillamment la cause de la question juive faisant abstraction de ses aspects religieux, et voulant légiférer au nom de la suprématie du principe d’égalité.

 

Cet exemple va être la ligne conductrice de toute la question juive en France, et reste encore présent dans de nombreuses sociétés contemporaines. Même si les concepts sont embryonnaires et ne sont pas encore rigoureusement formulés à cette époque. Nous voyons se dessiner très bien deux modèles qui prévalent encore de nos jours.

Un modèle strictement politique, celui de la laïcité, plaçant les principes constitutionnels au-dessus des religions, et un modèle communautaire, de coexistences des minorités à côté de la religion d’état.

 

Cette différence est tout à fait fondamentale tant au plan des principes qu’au plan des conséquences sur la pratique des minorités religieuses ainsi que de la religion d’état. Il s’agit d’une part des modèles actuels français d’autre part du modèle de la grande Bretagne. Par exemple.

3.6.2 Le Décret du 21 Novembre 1789 et la bataille des portugais

 

La question juive allait être finalement repoussée maintes fois. Mais le sujet de l’accès aux emplois publics des juifs lui redonna une vigueur nouvelle. Le député Clermont Tonnerre tenta le 21 novembre 1789, un tour de force juridique, en essayant de faire adopter cette question sans motion. Admettre les non-catholiques aux emplois publics revenait à admettre de facto les juifs mais le projet fut refusé par 408 voix contre 403. En relisant l’acte de la constituante on ne peut que rester coi, face à l’extraordinaire modernité des débats et à l’humanisme habile de Clermont Tonnerre.

 

Ce21 novembre, les juifs de France ont bien failli connaître la première émancipation. Cette manœuvre si elle était aussi habile qu’humaniste, posera les bases de nouveaux problèmes en particulier à communauté juive séfarade de bordeaux intégrée. En tentant de globaliser la question à l’ensemble gentils pour finalement obtenir un refus, il provoque l’effet pervers de faire reculer le statut des juifs bordelais.

 

La communauté juive de bordeaux réagit sans tarder et ne demanda plus à être admise à une équivalence de droits, mais à conserver ses privilèges locaux. Les effets ne se font pas tarder, cette communauté se désolidarise des juifs de l’est, provoquant leur indignation. Le 28 Janvier 1789 les juifs bordelais sont introduits à la députation.

 

Cet événement poussera les juifs de l’est à se fédérer derrière un représentant Cerf Berr. L’effet pervers de la manœuvre de Clermont Tonnerre a fait basculer la question juive dans le strict domaine du politique, mais la rattache aussi complètement à la logique révolutionnaire.

 

Accorder des privilèges aux juifs bordelais uniquement, c’était revenir aux particularismes régionaux de l’ancien régime. Au terme d’un combat politique auquel participent conjointement les juifs de l’Est et parisiens, un projet de déclaration de la citoyenneté de l’ensemble des juifs est présenté au nom de l’indivisibilité. Il est voté à l’unanimité.

3.6.3 Décret de septembre 1791

Ainsi cinquante mille juifs vont se voir conférer plus tard une égalité de droits civils On se souvient de l’abbé Grégoire un des plus fervents défenseurs de la cause de l’égalité scandant à la constituante :

 

« Cinquante mille Français s’endorment ce soir comme serfs, faites-en sorte qu’ils se réveillent demain libres citoyens ! »

 

C’est en septembre 1791 que l’ensemble des juifs de France jouiront de l’égalité de droits civils, constituant ainsi la première délivrance moderne du peuple juif au monde.

 

J’ai volontairement cité cette intervention de l’abbé Grégoire car elle est tout à fait significative de la vision politique de la première émancipation.

 

Toutefois cet accès à une égalité de droits civils ne saurait en aucune manière constituer une libération du peuple juif, mais le préambule d’un projet politique visant à l’assimilation des populations juives. Les instigateurs pensant que les juifs s’assimileraient à la population française.

 

3.7Les Conditions de l’émancipation.

La question juive se règle donc dans un contexte politique, mais pose les bases la future émancipation des juifs, autour d’une ligne conductrice de laquelle elle ne dévira plus jamais en France.

 

Elle installe également concrètement les prodromes de notre société actuelle, la place du religieux, de la religion d’état à la laïcité militante. C’est au centre de ce conflit, que les juifs de France devront se frayer le chemin de l’achèvement de leur émancipation. L’émancipation d’humaniste et éprise de tolérance religieuse est devenue strictement politique. En ce sens la participation des juifs à la future république laïque et indivisible est tout fait remarquable et inédite. Les juifs de France sont maintenant citoyens du royaume de France sans degré d’accès ni de restriction.

4 L’entrée En vigueur de l’émancipation.

L’acte symbolique de prestation de serment constituait l’entrée en vigueur des juifs dans la nation française. Cette prestation était pratiquée collectivement par des communautés entières. Il est à noter que pour un grand nombre de juifs, cette entrée en qualité de citoyen à part entière signifiait une véritable l’adhésion aux valeurs révolutionnaires et l’occasion d’entrer dans l’activité économique et dans les affaires.

 

Mais nous devons à un autre paradoxe de l’histoire de France, un premier accès à l’égalité des juifs et des gentils. A partir de 1793, la terreur exerce une répression sans failles ni distinction contre les institutions religieuses, répression dont les juifs ne seront naturellement pas épargnés.

 

L’observance du sabbat et du dimanche est interdite. Les synagogues et les écoles sont fermées, saccagées, transformées en entrepôts, en magasins ou en étables.

 

Dans l’est de la France, les juifs sont visés en tant que tels et prit dans une campagne contre les spéculateurs et agioteurs. Il ne s’agit pas d’un pogrom mais d’une persécution qui ne cessera qu’avec la fin de la terreur en août 1794. La procédure de mariage civile a rendu possible les tous premiers mariages mixtes mais le culte se poursuit en revanche dans la clandestinité.

 

4.1Le Directoire et les premières failles de l’égalité.

Sous le directoire la question centrale de la question juive n’est plus l’égalité de droits, mais la question des dettes d’usures, c’est à dire la dette des juifs envers les chrétiens et également des chrétiens envers les juifs. Les créanciers juifs sont notifiés de remettre un état détaillé de leurs créances sur les gentils sous un mois. La plupart des communautés avaient également de lourdes dettes envers les créanciers chrétiens. (Metz, Avignon, Carpentras, et Ilse sur la sorgue.)

 

Le 7 février 1792, le directoire de la Moselle interdit aux juifs de quitter Metz sauf à verser un huitième de leur fortune à la caisse commune d’extinction de la dette. En 1794les juifs d’Avignon demandent la nationalisation de la dette. En effet la loi de 1790 avait proclamé la nationalisation des dettes des corporations et communautés religieuses. Mais le 6décembre 1797 il fut invoqué que les juifs vivant dans l’Est et dans les anciens états du pape ne constituaient que des étrangers tolérés dans l’état.

 

Ce revers était grave, il contrevenait à la loi d’égalité de 1791 et n’était pas sans rappeler les mesures de l’ancien régime.

4.2L’aspirationà une intervention de l’état

Durant la terreur cependant les communautés avaient été désorganisées, et aspiraient à une intervention de l’état. Cette intervention sera menée par Bonaparte.

Tordons tout de suite le cou à une idée faussement répandue, l’histoire entre le futur empereur et les juifs ne fut pas une histoire d’amour, même si certains juifs messianiques virent même en lui le messie.

 

Bonaparte était favorable à accorder aux juifs un droit de cité en particulier aux juifs habitants les états du pape. Le ministre des cultes Portalis fut sollicité par les doléances des communautés juives afin d’assurer le fonctionnement des institutions religieuses et charitables ainsi que pour mettre un terme à l’anarchie régnante.

 

En février 1805, Portalis prend l’avis d’une commission composée de 13 notables juifs. Cette toute première commission dressera le plan d’organisation du culte juif. Il s’agit des prémisses d’organisation du culte Israélite en France, dont les répercussions sont visibles jusqu’à aujourd’hui. L’idée générale consistant à doter le culte d’une organisation centralisée. Cette commission serait constituée de six conseils de notables élus par les familles les plus taxées.

 

Cette commission de notables avait pour but de statuer sur la définition des pouvoirs des rabbins et sur leurs strictes limitations.

 

Toutefois, les plaintes concernant l’usure des juifs de l’Est ne cessent pas. En1806 la presse entra alors dans le débat en dressant un bilan excessivement négatif de l’émancipation, donnant à la question une dimension polémique et politique.

 

L’émancipation des juifs devint alors une arme contre révolutionnaire, ajouté de griefs économiques et d’hostilité religieuse.

 

Dénonçant l’incompatibilité entre le judaïsme et la citoyenneté, la presse défendait l’exclusion des juifs de toute fonction leur permettant la moindre autorité sur des chrétiens, l’Etat envisageait très sérieusement de revenir sur l’acquis de la révolution.

 

Cette situation entraîna un regain d’oppression, et la perte en1808 des droits civiques des juifs alsaciens pour dix ans tant que ne disparaîtrait pas la différence entre eux et les autres citoyens.

 

4.3L’assemblédes notables

Convaincu que les juifs pratiquaient une absence de morale dans leurs relations avec les chrétiens, l’empereur décida d’agir en donnant un cadre institutionnel à l’émancipation décidée par la révolution en la dotant de voies précises d’applications.

 

Le30 mai 1806 il décréta la suspension du paiement des dettes et réunit à Paris une « grande synagogue ».

 

Une procédure de consultation s’engagea avec l’assemblée des notables juifs.

 

Un questionnaire en 12 points centré sur les questions du mariage du divorce et de la primauté de la loi religieuse fut présenté.

 

L’objectif poursuivi était clair, amener les députés à choisir entre la loi de l’état ou la loi religieuse.

 

Pour les questions matrimoniales l’assemblée accepta le principe du divorce civil, considérant que les prérogatives des rabbins ne relevaient pas de la loi mais de l’usage.

En ce qui concerne les relations avec les non juifs il fut argué l’application de la loi noachide.

Pour la défense de la patrie, les juifs devraient prendre les armes, fut ce contre d’autres juifs.

 

Il fut tout d’abord proposé que les mariages mixtes ne pourraient plus être célébrés que civilement.

 

Sur la question de l’usure il fut indiqué que la loi ne faisait que tolérer un intérêt modéré proportionné au risque dans le cas de prêts commerciaux, et que les comportements d’un petit nombre ne pouvaient être étendus à l’ensemble des juifs.

 

Il tout à fait intéressant de noter le caractère particulier de cette négociation, louvoyant sans cesse entre la loi juive et la loi civile. Ceci amènera l’assemblé des notables dans un débat d’idées entre le parti des juifs du sud-ouest et le parti rabbinique, c’est à dire entre une vision qualifiée à l’époque de « philosophique » et l’autre de « traditionaliste. » Le parti des juifs du Sud-Ouest était quasiment suspect d’apostasie.

 

Le parti rabbinique semble l’emporter en arguant  » Dina de malhutadina » la loi de l’état est la loi.

 

En effet en dehors du Talmud, la Torah est tout aussi explicite àce propos. Il est dit dans l’Ecclesiaste

 

Je te dis: Observe les ordres du roi, et cela à cause du serment fait à Dieu. Ecclesiaste 8:2 Traduction Louis Second.

 

Nous touchons un point capital sur le plan doctrinal. En effet la religion juive prescrit de se plier à la loi du prince pour les affaires civiles et politiques. Même en justifiant cette pratique au plan strictement religieux, il n’en reste pas moins vrai que nous trouvons là une extraordinaire convergence d’intérêt entre deux doctrines apparemment opposées, l’une politique et l’autre religieuse.

 

Les rabbins en s’appuyant sur leur tradition entérinaient très clairement la séparation de deux sphères, le religieux et le politique. Je pense que cette situation est unique au point de vue des doctrines religieuses.

 

Mais la surprise viendra de la question des mariages mixtes préalablement abordée. Les rabbins réussissent finalement à imposer leur autorité exclusive cette question.

 

Ilse fit alors jour dans l’esprit de l’empereur que seule une assemblée composée de docteurs à l’image de l’antique assemblée de Jérusalem, pouvait avoir autorité.

 

Contre toute attente le 6 décembre 1806 Napoléon annonce la réunion d’un grand sanhédrin.

 

4.4Le grand sanhédrin, les mesures effectives, la mise en place de l’organisation religieuse

Avec le recul, nous ne pouvons que rester sans voix, sur le fait qu’un monarque ait « ressuscité » une institution juive morte depuis 17 siècles, qui n’a d’ailleurs pas la moindre légitimité aux yeux de la tradition juive.

 

Mais la manœuvre était plus qu’habile. Pour entériner ses décisions Napoléon avait besoin en fait de la compétence et de l’action conjointe de trois instances :

 

  1. L’assemblée des notables pour la mise au point des dispositions pratiques.
  2. Du sanhédrin pour sa caution religieuse.
  3. Du conseil d’état pour la formalisation légale des décisions.

 

Le17 mars 1808 une série de trois décrets est publiée. Les deux premiers installent l’organisation prévue par l’assemblée de notables et le troisième décret connu sous le nom du « décret infâme « réglemente les activités économiques, le droit de résidence, et les obligations militaires pour une période probatoire de dix ans.

 

En juillet 1808 un autre décret impose aux juifs l’obligation de se faire enregistrer auprès de l’état civil et de porter un prénom et un nom patronymique.

 

Napoléon décida la création du consistoire dans un soucis d’alignement du culte juif sur le modèle appliqué au protestantisme.

 

Le6 juillet 1810 des instructions prévoyant une prière pour la patrie et pour l’empereur durant les offices sont adressées aux rabbins.

 

Cette organisation introduisant une hiérarchie nouvelle allait susciter au 19eme siècle une mutation au sein du judaïsme français.

4.5L’émancipationen Europe occidentale.

Les armées napoléoniennes victorieuses en Europe apportaient en même temps l’émancipation des juifs. Ce fut le cas en Hollande, à Rome, à Venise, en Rhénanie t Westphalie. Si les débats qui émergèrent dans ces pays connurent des formes plus ou moins approfondies, il n’en reste pas moins vrai que le résultat restait néanmoins dicté par l’hégémonie française.

 

Les armées napoléoniennes héritières des armées révolutionnaires retrouvèrent la vocation d’émancipation révolutionnaire, les droits politiques d’abord ensuite la régénération.

 

Mais le mouvement quoique irréversible se brisa dans les pays précédemment conquis lors des défaites de l’empereur. Il survécu toutefois dans le reste de l’Europe mais selon des modalités plus hésitantes et plus lentes.

4.6Leslimites du cadre napoléonien

Le cadre napoléonien de l’émancipation avait imposé des bornes rigides à l’émancipation. La révolution française considérait la religion comme une affaire privée, Napoléon quant à lui avait fait promulguer une série de décrets visant à l’instauration d’un rapport de primauté civile sur la loi religieuse.

 

L’objectif poursuivi était malgré les apparences rigoureusement inverse à l’esprit révolutionnaire. Les juifs ne devenaient pas français parce que nés en France, mais par une obligation religieuse.

 

Cette démarche associée au décret infâme, produisait l’effet pervers de finalement désigner les juifs comme une catégorie particulière de citoyens.

 

De plus il fut institué le serment « more judaïco » applicable aux juifs amenés en justice. Ils devaient prêter serment en présence d’un rabbin et déclarer :

 

Dans le cas où en ceci j’emploierai quelques fautes, que je sois éternellement maudit, dévoré et anéanti par le feu où périrent Sodome et Gomorrhe et accablé de toutes les malédictions décrites dans la torah »

 

5Larestauration, la monarchie de juillet, la 2eme république

A l’arrivée de la restauration le catholicisme redevint la religion d’état, mais la charte garantissait l’égalité de tous les citoyens devant la loi et la liberté des cultes.

Le roi lors d’une réception à la cour accordait même une reconnaissance publique du culte juif.

 

Le consistoire proclama la fidélité des juifs de France au roi. En 1829 l’école de Metz devient le premier centre de formation des rabbins de France.

 

La monarchie de juillet révisa la charte marquant le retour de la religion d’état mais alloua au culte israélite le 8février 1831 de nouveaux budgets pour lui donner une parité réelle avec les autres cultes.

 

Un jeune avocat dont carrière allait être brillante s’attaqua au serment more judaïco. Adolphe Isaac Crémieux, obtient la renonciation à cette pratique des cours de Nîmes et de d’Aix. Il devint membre du consistoire central et proposa ses services à tout rabbin refusant de prêter son concours à la prestation de serment.

 

En1846 l’action de Crémieux connu le succès par l’abrogation de la prestation de serment. Mais les limites de l’égalité étaient encore lointaines, d’une part les dettes n’ayant pas été nationalisées restaient à la charge du consistoire et d’autre part les postes de la haute administration placées sous l’autorité sévère de l’église restaient inaccessibles

5.1Del’émancipation à l’égalité.

Les mutations de l’émancipation à l’égalité furent tout d’abord géographiques. Les populations juives immigrèrent massivement dans les grandes villes où elles se mêlèrent. On assista ainsi la naissance d’une communauté juive française qui jusqu’alors avait été morcelée.

 

Si la restauration avait vu la réussite financière de quelques-uns comme les Rothschild, la croissance économique du second empire ouvrit les portes de nouvelles professions aux juifs.

 

Bien plus que la réussite individuelle, ces succès allaient revêtir une dimension idéologique qui préfigurerait la régénération. En effet la génération dont Crémieux était le vivant exemple montra un acharnement à l’amélioration de son sort et à son élévation dans l’échelle sociale.

 

Des succès éclatants dans la banque, et le chemin de fer participèrent à la modernisation de la France. La grande masse de la population juive trouva son intégration dans la petite et la moyenne bourgeoisie.

 

Le système consistorial continua son développement et Paris devint le centre du judaïsme français.

 

Les dirigeants politiques juifs placèrent au centre de leurs préoccupations de faire de tous les juifs de France de véritables français.

 

Les » autorités juives » fidèles à la conception napoléonienne ajoutèrent l’enracinement patriotique dans la religion, et adoptèrent la devise » religion et patrie« .

 

Sur la base d’une intégration imposée unilatéralement par l’état les autorités religieuses ne remirent jamais en cause l’évocation de la patrie dans les rituels et avec le retour de la république en 1848, elles ajoutèrent même une prière pour la patrie et l’accompagnait d’actions de grâces pour l’émancipation en France.

5.2Le débat au sein du judaïsme

L’action du consistoire est en ce sens unique. Elle allait produire un effet complètement inattendu, qui finit par influer sur la conception que se faisaient les juifs eux-mêmes de leur propre religion. Cette association alla même jusqu’à l’identification des valeurs de la révolution avec l’enseignement de la tradition juive

 

J’ai longuement réfléchi à ce point, à cette relecture de la tradition juive par les juifs eux-mêmes à la lumière de la révolution française.

 

Si cette vision peut paraître à certains touchante voire risible, je la prends en revanche tout à fait au sérieux.

 

Lors de l’introduction de cet exposé, j’ai déclaré que l’émancipation juive interpellait le doctrinaire que je suis par son interpénétration culturelle.

 

La révolution française s’appuyait entre autres choses sur la religion naturelle, et se plaçait sous les auspices de l’être suprême pour lequel elle organisa une fête le 8 juin 1794.

 

Mais qu’est l’être suprême. ? Il fut écrit à ce propos lors de la fête de 1794:

 

Robespierre avait-il voulu cette célébration à la fois pour braver les athées qui ne parlaient que de déesse Raison et pour se rapprocher des catholiques qui au moins seraient forcés de voir que la Révolution célébrait très dignement le vrai Dieu.

 

Au-delà de cette conception philosophique déiste évoquant un principe créateur et non pas organisateur ayant le mérite de tenter une réconciliation de tous, il est aussi possible d’y trouver la conception même d’un monothéisme absolu ne faisant aucunement référence à un prophète.

 

Sans pousser l’herméneutique au-delà de ses limites, il est possible de rapprocher ce concept de celui de l’être éternel révélé à moïse dans la genèse.

 

Moïse dit à Dieu: J’irai donc vers les enfants d’Israël, et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. Mais,s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je? Exodus 3:13

 

Dieu dit à Moïse: Je suis celui qui suis. Et il ajouta: C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël: Celui qui s’appelle « je suis « m’a envoyé vers vous.

 

« Je suis », cette formulation ne renvoit elle pas implicitement à la notion même d’être suprême ?

 

Et qu’est la religion naturelle si ce n’est la stricte application des lois noachides auxquelles tous les hommes sont en principe appelés à la pratique.

 

La religion naturelle, si elle ne saurait absolument pas constituer une confession, n’a jamais été autre chose que la juste praxie des vertus et des principes éthiques formulés par des lois de Noé et constituant une morale universelle.

 

Au plan strictement philosophique la révolution apporta de nombreuses avancées au plan de la lutte contre les préjugés et des inégalités qui rejoignait à bien des égards la tradition juive.

 

Il ne fallait pas aller bien loin pour reconnaître dans ces trois principes, égalité, religion naturelle, et l’être suprême les fondements même du judaïsme et la doctrine selon laquelle le salut de la maison d’Israël prise dans son ensemble peut sauver le monde.

 

Quant au débat entre le pouvoir temporel et spirituel qui fut le chemin de l’émancipation française, il ne me paraît pas nécessaire de développer dans une synagogue son rapprochement avec les livres de la bible traitant des luttes entre le pouvoir royal et le pouvoir des prêtres. De plus quelle que soit sa sensibilité, aucun exégète sérieux, ne peut nier que la religion juive a toujours prôné la primauté du pouvoir du prince sur celle du spirituel dans les affaires de l’état.

 

Cette lecture du 19eme siècle offrait deux avantages majeurs.

 

  1. Le judaïsme n’était plus comme certains l’affirmaient un vestige d’un passé obsolète, mais proposait un infléchissement du messianisme juif vers l’universel.
  2. De plus cette analyse présentait l’avantage de réconcilier une doctrine religieuse avec les tenants d’une vision strictement politique du judaïsme.

Mes propos se situant dans le strict registre philosophique, il ne faudrait pas y trouver une forme d’adhésion et en particulier l’idée que le judaïsme ait pu inspirer les idées révolutionnaires.

 

Ce rapprochement entre le messianisme juif et le messianisme révolutionnaire aura d’ailleurs des conséquences très importantes. Si la pensée précède en principe l’action l’observation des événements nourrit également la pensée La plus significative de ces conséquences sera l’élaboration de la thèse sioniste qui puisera une partie de sa substance philosophique en réaction à cette analyse sur le rapprochement des messianismes. Admettre la révolution française comme le point de départ du messianisme était aussi ouvrir la voie à l’assimilation mais faire dans le même temps la négation de nation juive.

5.3L’évolution du judaïsme français.

A partir de 1840 des années de débats sur des positions tranchées virent le jour au sein du rabbinat, l’une «traditionaliste » et l’autre tendant à une évolution des pratiques du culte. Ces deux tendances représentées en France respectivement par le Grand Rabbin Lambert de Metz et le grand Rabbin Zadoc Khan.

 

Mais pour en comprendre les implications sur la pratique, il nous faut sortir du cadre de la France et observer la situation des juifs dans d’autres nations d’Europe.

 

Dans de nombreuses régions d’Europe au 19eme siècle, les juifs sont partagés entre tradition et le progrès, représentés par la pensée scientifique et laïque.

 

Le retrait des droits accordés aux juifs dans d’autres pays d’Europe déchira les communautés et de nouvelles formes de judaïsme apparurent, tel le judaïsme réformée enAllemagne, en Grande Bretagne, en Hongrie, aux états unis où la haskala et l’émancipation favorisèrent l’abandon de la loi mosaïque.

 

Plus de 250000 juifs se convertirent en Europe, au nombre desquels il faut compter, Benjamin Disraeli Premier ministre de la Grande Bretagne, Karl Marx, les enfants de l’avocat Adolf Isaac Crémieux.

 

Outre la perte démographique, ces conversions n’allaient pas non plus sans effet sur l’histoire des idées. Il est souvent cité les positions de Karl Marx converti dès son enfance mais issu d’une famille de rabbins et déclarant sur la question juive :

 

Ne cherchons pas le secret du juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le juif réel.

Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du juif ? Le trafic. Quel est son dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même. Karl Marx La question Juive.

 

Si ces propos peuvent aujourd’hui paraître choquants, il faut les situer dans le contexte de l’époque. En effet, si le 19emesiècle était à la fois le théâtre de l’émancipation des juifs, et parfois de leur conversion, le climat politique de l’époque était quant à lui en marqué par deux conceptions :

 

  • Le libéralisme traduisant l’aspiration du règne de la raison et à la réalisation de la liberté individuelle.
  • Le socialisme se dressant contre l’ordre social et cherchant une nouvelle organisation de la société et de la propriété garantissant l’égalité des droits pour les classes sociales défavorisées.

 

La question juive était donc sur le plan philosophique, religieuse, et politique diversement interprétée. De plus la philosophie précédant souvent l’action, était parvenue elle-même à un tournant de son histoire, entre l’époque moderne et l’époque contemporaine.

 

Marx n’échappait certainement pas à ce tournant. Il donna lui-même une parfaite définition de l’état d’esprit de l’époque en déclarant :

 

Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; ce qui importe c’est de le transformer. (Karl Marx)

 

C’est dans le contexte de cette inflexion des idées philosophiques, politiques, et religieuses de la deuxième moitié du19eme siècle que s’inscrit l’émancipation des juifs. Il nous faut donc à toute force éviter de juger des comportements et des idées à l’aune de critères de tolérance nous étant devenus familiers voire naturels en 2002.

 

5.4La situation en France

En France la réforme du culte fut prudente mais vit tout de même l’apparition de changements à la fois dans la pratique et dans l’architecture des synagogues.

 

En1899 la bible du rabbinat fut publiée, et l’usage de l’hébreu se résuma pour l’essentiel à la prière. Il fut introduit des chœurs chantant des prières et des psaumes, souvent accompagnés par un orgue, comme à la synagogue de la rue de la victoire inaugurée en 1874. Cette pratique fut condamnée par certaines communautés comme une imitation du rituel chrétien.

 

Le culte n’ayant plus besoin de se cacher, l’évolution de l’architecture des synagogues évolua également. La domination du style « Romano Byzantin » traduit un souci d’intégration des communautés, en évoquant la fois les origines orientales, et des grands styles de l’héritage artistique français.

 

Mais le changement le plus profond, et aussi le plus paradoxal allait porter sur le statut des rabbins, au point qu’il faut parfois rappeler en 2002 à beaucoup de gentils, que le judaïsme n’a pas de clergé, et que le Grand Rabbin de France n’est pas un prélat.

 

La volonté conjuguée des autorités françaises à l’intégration, la volonté de la communauté juive de France de s’élever dans l’échelle sociale, et du consistoire être le seul interlocuteur avec les autorités de l’état, portât l’accent sur une conception du judaïsme comme confession et non plus comme nation.

 

Le rôle du rabbin changeât donc en conséquence et il devint le porte-parole d’une religion, ce qui est inscrit dans la plus parfaite contradiction avec le judaïsme rabbinique.

 

De plus l’autre effet pervers de cette situation purement française fut l’élaboration en particulier pour les gentils, de l’idée selon laquelle il aurait existé dans le judaïsme une tendance religieuse officielle, représentée exclusivement par le consistoire, le reste des expressions du judaïsme n’étant que des schismes. Cette conception étant tout aussi fausse tant sur le plan doctrinal qu’au plan de l’actuelle représentation des juifs de France.

 

Mais cette conception du judaïsme ouvrait aussi en grand la voie vers l’assimilation.

 

5.5Lerayonnement de l’émancipation à la française.

 

Les voies de l’émancipation françaises exercèrent une fascination sur l’ensemble des communautés juives du 19emeSiècle. La diaspora y voyant majoritairement un modèle universel.

 

La communauté juive de France dont le niveau social s’était élevé, s’intéressa au sort des autres communautés du reste du monde.

 

Le plus significatif exemple fut celui du décret Crémieux de 1870. Le 24 octobre 1870 Crémieux devenu ministre accorda par décret la nationalité française aux juifs de la colonie d’Algérie

 

Il est tout à fait intéressant de s’arrêter un instant sur l’interprétation donnée à ce décret par les chrétiens d’Algérie, et par la communauté juive de France. Pour les uns il s’agit d’un acte de solidarité de la communauté juive, pour les autres cet accès à la citoyenneté des juifs n’avait d’autre but que la création d’une strate intermédiaire de population parlant l’arabe et pouvant faciliter les relations entre les populations musulmanes autochtones et les colons de la métropole. Cette interprétation est tout à fait significative de cette interpénétration mutuelle que constitue en France l’émancipation de juifs et de leur participation à la construction de la république.

 

Mais le rayonnement de l’émancipation française ne s’arrêta pas à l’accès à la citoyenneté des juifs d’Algérie. Crémieux interviendra en Syrie, pour des juifs frappés d’accusation de meurtre rituel, mais aussi en Roumanie. Cette solidarité particulière des juifs de France trouvera son expression dans la création de l’alliance universelle.

 

5.6Alliance israélite universelle Histoire de l’Alliance

 

Le17 mai 1860, dix-sept jeunes juifs français composés de médecins, d’enseignants, de journalistes, de juristes, d’hommes d’affaires. Représentant la bourgeoisie juive libérale de la fin du XIXe siècle, rédigèrent l’Appel de l’Alliance, texte fondateur de la nouvelle institution.

 

Les fondateurs préconisaient dans leur manifeste de 1860 une synthèse des idées de 1789, d’égalité, de justice et des droits de l’homme, et des principes du judaïsme, de sa conception d’un Dieu unique et de sa foi en une Rédemption universelle au temps du Messie.

 

Trois ans plus tard, en 1863, Crémieux allait être porté à la présidence de l’institution.

 

Les buts de l’alliance Israélite Universel étaient :

  • La protection des minorités
  • Le combat pour l’égalité des droits -non seulement pour les juifs, mais pour toutes les minorités religieuses.
  • L’accès à la culture française et à la modernité

 

Pour les dirigeants de l’Alliance, l’accès à la culture étaient aussi une condition essentielle de l’émancipation et participe du processus de « régénération »ayant pour but de faire des juifs des citoyens modernes et éclairés,partout à travers le monde.

 

La création d’écoles s’imposa donc d’emblée comme corollaire indispensable à l’action d’aide et de soutien aux juifs opprimés. En octobre 1862, l’Alliance ouvre sa première école à Tétouan, au Maroc. L’Alliance articule sous une forme moderne la tradition de solidarité juive.

 

5.7 Le prix de l’égalité

Cette image triomphante de l’intégration trouva pourtant ses limites dans l’affaire Dreyfus, et par l’émergence des premiers théoriciens de l’antisémitisme moderne qui donneront à ces thèses une place dans le paysage politique français, dont la droite extrémiste se fera le relais.

 

L’affaire Dreyfus qui sort du contexte du sujet de cet exposé sonne également la fin de l’émancipation du 19eme siècle en révélant aux juifs de France à quel point leur situation était finalement précaire.

 

La très contestée Hannah Arendt voit dans le processus de l’émancipation les sources mêmes de l’antisémitisme moderne, dont nous connaissons hélas trop bien aujourd’hui les dramatiques conséquences.

 

Hannah Arendt affirmera que des juifs, d’une pluralité d’individus et de nations, l’émancipation aura créé le « principe du juif ». Principe sur lequel se s’appuieront les thèses laïques et politiques de l’antisémitisme moderne.

 

L’émancipation des juifs ne cessa pourtant pas avec l’affaire Dreyfus, puis quel les juifs surmontèrent cette période d’antisémitisme en poursuivant leur émancipation socio-politique.

6 Conclusion

En juillet 1989, la France fêtait son bicentenaire, je me trouvais précisément ce 14 juillet à Dublin.. Les Irlandais chantaient la marseillaise, et la télévision nationale diffusait chaque soir le journal d’antenne 2 en français. Ce 14 juillet à Dublin, la Marseillaise remplaça l’hymne national irlandais dans le pub ou je passai ma fin de soirée. Je me souviens avoir demandé les raisons de cette liesse à mon voisin. Il m’expliqua que la révolution française avait inspiré la révolution irlandaise et l’acte d’émancipation des catholiques de 1839.

 

Il flottait dans l’air le parfum de l’espoir de l’unification de la république en cette fin des années 80. Il devenait évident pour beaucoup que le Parlement européen serait un le parfait forum pour faire avancer l’idéal d’une Irlande unifiée par des moyens pacifiques, par l’élimination des frontières et des divisions en Europe.

 

Pétris de mes convictions de Français laïc et républicain, je me suis surpris à lui dire :

 

  • Franchement vous n’en avez pas assez de votre guerre de religion entre catholiques et protestants ?

 

Il marqua un silence avant de me répondre.

 

  • Abandonnez vos certitudes, je suis juif !

 

L’émancipation des juifs en France est un modèle, à bien des égards. La participation à la construction politique et intellectuelle de la nation, l’intégration intelligente de la communauté juive de France inspira l’exemple à d’autres minorités juives de part le monde.

 

Si cette thèse est certainement vraie il nous faut toutefois rester humbles. En effet d’autres nations n’ayant pas connu et neconnaissant pas la séparation de l’église et de l’état en choisissant le modèle communautaire, intégrèrent pourtant parfaitement les juifs à leur société.

 

La très catholique Irlande à la négligeable communauté de 2000 personnes connut une voie d’émancipation très différente de celle de la France.

 

Les juifs irlandais donnèrent à ce pays plusieurs maires, Chem Herzog président de l’état d’Israël, des membres du parlement, des ministres et de nombreux prestigieux combattants pour l’indépendance dont Robert Briscoe membre du Sein Fein, aide du président Eamonn De Valera et futur maire de dublin.

 

Dans ce pays, les juifs sont peut être les seuls irlandais parlant couramment trois langues, l’anglais, le gaélique et l’hébreu !

 

Je terminerai par les propos de Julia Neuberger Rabbin et administrateur de l’université d’Ulster:

 

L’Irlande a toujours eut beaucoup de signification pour moi. Je ne suis pas irlandaise par le sang, quand je suis accueillie en Irlande je me sens chez moi….. Je retrouve chez les Irlandais un désir de se souvenir, souvent excessif et souvent trop immémorial,tout à fait comme les juifs. Note 4

Entre ces propos et ceux du redoutable abbé Maury, il se sera écoulé juste un peu plus de 200 ans.

 

Il me semble qu’un proverbe yiddish dit : « Si tu ne sais pas où tu vas, regardes d’où tu viens ».

 

L’émancipation des juifs est tout à fait exemplaire. Elle nous interroge implicitement sur les limites de tolérance d’une société, sur sa capacité à l’intégration des minorités, et sur la quête d’égalité de droits d’un groupe. Nous n’avons fait qu’effleurer le sujet de l’émancipation.

 

L’émancipation des juifs est une extraordinaire leçon de tolérance qui s’impose par les faits à tous. Elle est la définition même de la tolérance, c’est à dire de l’acception des différences et des particularismes au nom de principes universels régissant la vie de tous les hommes.

 

L’émancipation pose des questions essentielles à chacun, laïcs, religieux, philosophes, politiques.

 

L’émancipation philosophique des juifs en s’intéressant à l’essence même du judaïsme dressa le conflit entre juifs liturgistes, talmudistes, et symbolistes.

 

A partir de quel seuil une religion devient-elle aliénante pour ses fidèles et à partir de quel seuil cette religion acquière-t-elle son statut de vérité philosophique universelle en analysant sa mythologie comme enseignement moral et non plus littéral ?

 

Cette interrogation issue du judaïsme vaut également pourtoutes les confessions sans souffrir la moindre exception.

 

L’émancipation des juifs nous interroge également sur son essence politiquegénérale.

 

L’émancipation doit-elle rester égoïste ou bien n’y a t-il de véritable émancipation que celle qui, se refusant à jouir de sa domination, ne contribue pas en retour à l’émancipation des autres groupes?

 

Jean-Marc Cavalier Lachgar

Paris le mardi 29 janvier 2002

 

Note4 Ireland has meant a great deal to me. I’m not irish by blood,yet when I am welcomed home, it feels like home…I haverecognised in the Irish the desire to remember,-often to much and tolong -very like jews.. Julia Neuberger On being Jewish.

 

7Chronologie

Monarchie Non Absolue:

9 Juillet 1789/1-10-1789/1/10/1791

·       1789 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

·       1791 Les Juifs de France obtiennent la citoyenneté française par décret royal.

Monarchie constitutionnelle

1-10-1791 au 10-8-1792

·       21 Novembre 1791 Le député Clermont-Tonnerre tente de faire adopter un projet d’accès des non catholiques aux emplois publics. Il est rejeté par 408 voix contre 403

·       28 Janvier 1798. Les juifs bordelaissont introduits à la députation.

Dictature de la commune

10-8-1792 au 20-9-1792

1ere République

22-9-1792 au 18-10 1799

Consulat

13-12-1799 au 18-5-1804

.
1erEmpire

18-5-1804 au 6-4-1814

·       1806 Napoléon décide de réunir uneassemblée de notables Juifs

·       1807 Napoléon réunit un Sanhédrincomposé de 70 membres (les 2/3 d’entre eux sont des rabbins)

·       1808 Le 17 mars, création par décret duConsistoire Central

1ére Restauration

Avril 1814 mars 1815

1erEmpire Restauré

Les cent jours 1815

2éme Restauration

8-7-1815 au 7-8-1830

1823 Le banquier séfarade OlindesRodrigues protecteur de saint simon.

1830 Envoi de délégués du Consistoire enAlgérie.

Monarchie de Juillet

Louis Philippe

9-8-1830 au 24-2-1848

1844 Réorganisation du ConsistoireCentral.

1832-1832 Affaire Deutz

2éme République

25-2-1848 au 7-11-1852

1848 Adolphe Crémieux, ancien Présidentdu Consistoire est nommé Ministre de la Justice. 1851 Création del’Hôpital Rothschild et du Séminaire Israélite de Metz.
Second Empire

2-12-1852 au 4-9-1870

IIIeme République

4-9-1870 au 13-7-1940

1870 24 octobre Adolphe Crémieux faitpromulguer un décret donnant aux 33000 juifs d’Algérie la nationalitéfrançaise.

1877 Les Présidents des consistoiressont invités aux cérémonies officielles.

1880: Naissance de l’antisémitismenationaliste français

1894 Début de l’affaire Dreyfus

1905 Séparation des Cultes et de l’Etat.

1906 Fin de l’Affaire Dreyfus

 

8Bibliographie

 

PeterKunzmann,

Franz-Peter Burkard

et Franz Wiedmann : Atlas de la philosophie .

 

KarlMarx : La question Juive.

 

HannahArendt Les origines du totalitarisme. Sur l’antisémistisme.

 

Hume : Dialogues sur la religion naturelle.

 

RitaHermon-Belot L’abbéGrégoire

L’émancipationdes juifs en France.

 

JuliaNeuberger : On being Jewish

 

ErnestRenan : Qu’est ce qu’une nation ?

 

GershomScholem Aux origines religieuses du judaïsme laïque

 

JohnToland : Raison de naturaliser les juifs. PUF 99

Nazarenus or Jewish, Gentile, andMahometan christianity (1718)

versionélectronique disponible sur le site de la bibliothèqueNationale de France.

 

Voltaire :Dictionnaire philosophique

Desconspirations contre les peuples ou des proscriptions 1766

 

GeorgesWeil Emancipation et progrès

 

9Index des noms et des concepts.

 

D :

Déismen. masc. PHILOS. Attitude de ceux qui admettent l’existence de Dieusans accepter les dogmes et les pratiques d’une religion révélée.

H :

Haskala :Mouvementculturel et social qui se manifesta dans les milieux juifs européensaux XVIIIe et XIXe s. Transposition de la philosophie des Lumières,il entreprit d’ouvrir les communautés juives à lapensée scientifique et historique occidentale.

L :

Laïc

 

1.Qui n’appartient pas au clergé. Missionnaire laïque. Leslaïcs peuvent enseigner le catéchisme. Par ext. Un prêtreen habits laïques.

2.Qui est indépendant de toute religion. L’enseignement laïque.École laïque (par opposition à écolereligieuse ).

R :

Religionnaturelle : religion de ceux qui lisent la présence deDieu dans les lois constantes de la nature, plutôt que dans lestextes sacrés.

T :

Théisme

 

Termeemployé, au XVIIIe s. surtout, pour désigner uneattitude religieuse et philosophique qui consiste à admettre,sans faire intervenir ni révélation ni dogme,l’existence d’un Dieu unique, personnel, distinct du monde etexerçant une action sur lui.

 

10Annexes etdocuments

 

10.1Déclaration des droits de l’hommede 1789.

 

Lesreprésentants du peuple français, constitués enassemblée nationale, considérant que l’ignorance,l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seulescauses des malheurs publics et de la corruption des gouvernements,ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle,les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme,afin que cette déclaration, constamment présente àtous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leursdroits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatifet ceux du pouvoir exécutif, pouvant être àchaque instant comparés avec le but de toute institutionpolitique, en soient plus respectés ; afin que lesréclamations des citoyens, fondées désormais surdes principes simples et incontestables, tournent toujours aumaintien de la Constitution et au bonheur de tous.

 

Enconséquence, l’assemblée nationale reconnaît etdéclare, en présence et sous les auspices de l’ÊtreSuprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

 

Articlepremier – Les hommes naissent et demeurent libres et égauxen droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondéesque sur l’utilité commune.

 

Article2 – Le but de toute association politique est la conservation desdroits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont laliberté, la propriété, la sûreté etla résistance à l’oppression.

 

Article3 – Le principe de toute souveraineté résideessentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peutexercer d’autorité qui n’en émane expressément.

 

Article4 – La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui nenuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels dechaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membresde la société la jouissance de ces mêmes droits.Ces bornes ne peuvent être déterminées que par laloi.

 

Article5 – La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisiblesà la société. Tout ce qui n’est pas défendupar la loi ne peut être empêché, et nul ne peutêtre contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

 

Article6 – La loi est l’expression de la volonté générale.Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leursreprésentants à sa formation. Elle doit être lamême pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’ellepunisse. Tous les citoyens, étant égaux à cesyeux, sont également admissibles à toutes dignités,places et emplois publics, selon leur capacité et sans autredistinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

 

Article7 – Nul homme ne peut être accusé, arrêtéou détenu que dans les cas déterminés par la loiet selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent,expédient, exécutent ou font exécuter des ordresarbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appeléou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant ; ilse rend coupable par la résistance.

 

Article8 – La loi ne doit établir que des peines strictement etévidemment nécessaires, et nul ne peut être puniqu’en vertu d’une loi établie et promulguéeantérieurement au délit, et légalementappliquée.

 

Article9 – Tout homme étant présumé innocent jusqu’àce qu’il ait été déclaré coupable, s’ilest jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur quine serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doitêtre sévèrement réprimée par laloi.

 

Article10 – Nul ne doit être inquiété pour ses opinions,mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pasl’ordre public établi par la loi.

 

Article11 – La libre communication des pensées et des opinions est undes droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peutdonc parler, écrire, imprimer librement, sauf àrépondre de l’abus de cette liberté dans les casdéterminés par la loi.

 

Article12 – La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessiteune force publique ; cette force est donc instituée pourl’avantage de tous, et non pour l’utilité particulièrede ceux à qui elle est confiée.

 

Article13 – Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépensesd’administration, une contribution commune est indispensable ; elledoit être également répartie entre les citoyens,en raison de leurs facultés.

 

Article14 – Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes oupar leurs représentants, la nécessité de lacontribution publique, de la consentir librement, d’en suivrel’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, lerecouvrement et la durée.

 

Article15 – La société a le droit de demander compte àtout agent public de son administration.

 

Article16 – Toute société dans laquelle la garantie des droitsn’est pas assurée ni la séparation des pouvoirsdéterminée, n’a point de Constitution.

 

Article 17 -La propriété étant un droit inviolable et sacré,nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque lanécessité publique, légalement constatée,l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste etpréalable indemnité.

 

10.2ASSEMBLÉECONSTITUANTE

Séance du mercredi 23 décembre1789

 

Onlit l’arrêté suivant :

Procès-verbaladressé à l’assemblée nationale.

Le13 décembre 1789, sous les murs de la ville de MonteIimart, se sontfraternellement réunis par détachements, au nombre de six mille hommes,les gardes-nationales de Saint-Marcel, et autres villes et communautésautorisées par leurs municipalités, et représentant vingt-sept millesix cents citoyens armés du Vivarais, de la Provence, du Languedoc etdu Dauphiné, et en outre celles de l’Étoile, la Voute, Salliens,représentant quatorze communautés, Loriole, Livron, Clions fédérée àl’Étoile.

Lesquellesvoulant assurer la circulation des grains à laquelle s’opposent descraintes et des projets également dangereux, et voulant prouver auxennemis du bien public qu’il ne leur reste aucune ressource pourdiviser les citoyens unis par la confiance en l’assemblée nationale,ont prêté le serment ci-dessous.

Nous,Français, jurons à Dieu et à la patrie de veiller jusqu’à la mort àl’exécution des décrets de l’assemblée nationale, et de nous porter àcet effet tous les secours nécessaires.

Ceserment prêté, les officiers de tous les détachements s’étant réunisdans l’église des Récollets de Montelimart, ont procédé à la nominationde douze commissaires de la fédération.

Il a étéarrêté que toutes les confédérations de gardes nationales ayant pourbut l’union, MM. les commissaires correspondront avec ceux dela fédération d’Étoile.

Quela présente sera envoyée à l’assemblée nationale, à M. de la Fayette,avec prière de la présenter au restaurateur de la liberté françaisecomme le gage d’un amour et le tribut d’une reconnaissance qui nesauraient égaler ses bienfaits.

Arrêtéqu’elle sera imprimée, que des exemplaires en seront envoyés auxmunicipalités du royaume, à la garde nationale de Paris.

Signé,CHANTON, AIMÉ, LAURANGE.

L’acteest accueilli par de vifs applaudissements.

M.le comte de Clermont-Tonnerre développe la motion qu’il avaitfaite la veille sur l’admissibilité de tous les citoyens auxemplois civils, quel que soit leur état et quelque cultequ’ils professent. II était principalement question des juifset des comédiens.

M.de Clermont-Tonnerre observe que si l’on prononce I’exclusion contreces deux classes d’hommes, on agira contre l’expression de ladéclaration des droits qui est à la tête de laconstitution ; que cette exclusion sera contraire à lapolitique, etc. Il ajoute qu’un grand nombre de juifs sontactuellement incorporés dans les milices bourgeoises ; quedans le temps de sa présidence il a reçu plusieurs donspatriotiques de la part des juifs : il étend même lesprincipes jusqu’à dire qu’il n’y a aucune raison pour excluredes emplois civils l’exécuteur de la haute-justice ; que leshommes ne sont vils qu’autant qu’ils sont avilis par la loi, et quedès-là que la loi ne prononce point cet avilissement,les hommes ont tous le même caractère et la mêmecapacité à tous les emplois.

M.de Clermont-Tonnerre fini par renouveler les termes exprès desa motion.

M.l’abbé Maury monte à la tribune, combat l’opinion de M.de Clermont-Tonnerre, et établi des divisions :

1°.On ne peut accorder aux comédiens un droit dont lesdomestiques sont exclus. La profession des comédiens estvicieuse ; surtout en ce qu’elle soustrait les enfants au pouvoirpaternel, etc.

2° L’exécuteur de la haute-justice s’estde lui-même voué à l’infamie attachée àses fonctions, et il ne peut réclamer aucune prérogative,puisque l’opinion publique le prive de toutes.

3° Les juifs,non-seulement composent une secte particulière, mais encoreune nation particulière : on ne peut donc les regarder commecitoyens. Ils ne peuvent donc être ni laboureurs, ni soldats,ni citoyens publics.

M.l’abbé Maury appuie surtout sur la qualité de soldatsque les juifs ne peuvent remplir.

M.l’abbé Maury.

«Un général ne pourra s’en faire obéir un jour desabbat. Toute leur industrie porte vers le commerce. Dans lePalatinat, par exemple, où ils ont des terres, ils ne lescultivent pas ; ils les font cultiver par des chrétiens qu’ilsréduisent à un travail d’esclaves, tandis que cesIsraélites, dans leur cabinet, calculent le profit qu’ilspeuvent faire sur un ducat, sans être recherchés par laloi. »

M.Robespierre défend la motion de M. de Clermont-Tonnerre.

M.l’évêque de Nancy appuie celle de M. l’abbéMaury. II ajoute que l’on doit prendre en considération lahaine que le peuple a pour les juifs, et il mêle dans sondiscours des anecdotes absolument déplacées dans labouche d’un prélat et devant une assemblée respectable.

M.Duport parle dans les mêmes principes que M. de ClermontTonnerre a manifestés : son discours paraît long. Lerésumé est qu’en détruisant des barrièresinjustes et attentatoires aux droits imprescriptibles de l’homme, iln’y a aucune conséquence fâcheuse à enappréhender; que les juifs seront exclus par le fait sansl’être par le droit ; que si un juif, un protestant, uncomédien réunit la pluralité des suffrages,c’est une preuve qu’il réunira aussi les qualitésnécessaires à être utile à la société,etc. M. Duport conclut par la motion suivante : Qu’il ne pourraêtre opposé à aucun citoyen actif aucuneexclusion que celle prononcée par les précédentsdécrets, dérogeant à toutes lois et ordonnancesà ce contraires.

Ungrand nombre de membres demandent à parler sur cette question; l’assemblée trouve qu’elle est suffisamment discutée,et de tous côtés on demande à aller aux voix.

M.Rewbell se présente à la tribune, et demande que ladiscussion ne soit pas fermée avant que l’on est entendu ledéputé d’une province où les juifs sont en plusgrand nombre que partout ailleurs dans le royaume.

AlorsM. Brunet de la Tuque remet, sous les yeux de l’assemblée, lamotion qu’il a déjà présentée. Elle estconçue en ces termes :

1° Les non-catholiques, quiauront d’ailleurs rempli toutes les conditions d’éligibilité,pourront être élus dans tous les degrésd’administration ;

2° Les non-catholiques son, capables deposséder les emplois civils et militaires comme les autrescitoyens.

Aussitôton demande la priorité pour la motion de M. Duport, et onprend les voix sur cette question de priorité. L’épreuveparait douteuse, et il a faut avoir recours à l’appel nominal,dont le résultat est 405 voix en faveur de la motion de M.Duport, et 408 voix en faveur de celle de M. Brunet de la Tuque.

 

10.3ASSEMBLÉECONSTITUANTE

Séance du jeudi 24 décembre 1789(matin)

 

Al’ouverture de la séance, plusieurs membres proposent diversesquestions.

M.de Foucault demande qu’on fixe l’époque à laquellel’assemblée se séparera. On refuse de prendre cettedemande en considération.

Surl’ordre du jour, M. le prince de Broglie propose une rédactionà peu près semblable à celle de M. Duport surl’admissibilité aux emplois civils et militaires, et ildemande le renvoi de la discussion de la question relative aux juifs; enfin, tenant, pour le reste, aux principes déjàconsacrés par les décrets de l’assemblée.

M.l’abbé Maury se plaint que les comédiens ont écrità M. le président de l’assemblée, pours’informer si on a décidé en leur faveur; il ajoutequ’il est de la dernière indécence que des comédiensse donnassent la licence d’avoir une correspondance directe avecl’assemblée.

M.le président rappelle formellement à l’ordre M. l’abbéMaury. La vérité est que les comédiens duThéâtre Français ont adressé une lettre àM. Desmeuniers ; mais cette lettre est restée sans réponse.

Ils’élève un grand tumulte et des réclamations dela part d’une partie de l’assemblée, sur la question de savoirsi M. le président a pu rappeler M. l’abbé Maury àl’ordre ; mais cette affaire n’a aucune suite.

M.de Clermont-Tonnerre ramenant les esprits vers la question àl’ordre du jour, appuie la motion de M. le prince de Broglie.

M.Rewbell représente combien la prévention contre lesjuifs est profonde, ce qui la rend presque incurable ; que sil’assemblée nationale fonde trop ouvertement ce préjugépar un décret, il ne répond pas des suites dans saprovince, l’Alsace, que leur conduite dans tous les temps a laissédes traces de haine tellement empreintes dans les esprits, qu’ilserait imprudent d’accorder, au moins quant à présent,aux juifs les mêmes droits dont jouissent les autres citoyens.

M.Barnave prend la parole, et ne fait, pour ainsi dire, que s’appuyersur la déclaration des droits de l’homme, d’aprèslaquelle il soutient qu’un citoyen ne peut être exclu àraison de sa croyance ou de sa profession ; que cependant sil’assemblée juge dans sa sagesse devoir prononcer à cetégard, il pense qu’elle doit ne se permettre d’énonciationsparticulières qu’en faveur des protestants.

M.l’évêque de Clermont fait remarquer que la majeurepartie de l’assemblée a manifesté qu’elle n’a aucunerépugnance à accorder aux protestants tous les droitsdes autres citoyens, mais qu’elle ne montre pas la mêmedisposition en faveur des juifs et des comédiens ; enconséquence, il propose de diviser la question.

Desdébats s’élèvent sur la manière de laposer. Celle de M. Brunet de la Tuque semble avoir, par le décretprononcé la veille, acquis la priorité sur celle de M.Duport ; cependant une multitude d’amendements se présentent.M. de la Galissonnière veut surtout qu’on ajoute àl’expression de non-catholiques, celle de chrétiens.

M.de Beaumetz.

« La question sur les juifs doit êtreajournée, et j’ai de fortes raisons pour le penser. Peut-êtreles juifs ne voudraient pas des emplois civils et militaires que vousles déclareriez capables de posséder, et sans doutealors votre décret serait une générositémal entendue. Il faut, avant de prononcer sur ce peuple longtempsmalheureux, savoir de lui ce qu’il veut être, à quelprix il veut obtenir sa liberté, et enfin s’il est digne de larecevoir. Mais, Messieurs, il n’en est pas ainsi des comédiens: ils sont Français, ils sont citoyens, ils sont hommes ; ilstravaillent autant que nous à là régénérationdes mœurs, en donnant aux peuples des plaisirs doux, une moraleencore plus douée. Je ne connais point de lois qui aientdéclaré les comédiens infâmes ; ils sontflétris par le préjugé ; et ce préjugéqui les flétrit, fut l’enfant de l’ignorance et de lasuperstition. Mais le règne de la superstition est passé,et sans doute vous ne pensez pas que les lois que vous faites doiventêtre plus sévères que celles qui régnaientdéjà. A Rome même, ceux qui condamnent lescomédiens vivent avec eux, et souvent dans une intimefamiliarité. Cette familiarité n’existerait pas, si lescomédiens avaient été reconnus infâmes. Etne serait-ce pas les frapper du cachet de l’infamie, que de leurrefuser les droits de citoyen ? Le Français a besoin deplaisirs, il est juste qu’il puisse estimer ceux qui font sesplaisirs. Diriez-vous à vos compatriotes, ce que disait auxsiens le citoyen de Genève : N’élevez jamais de théâtredans vos murs, vous feriez un premier pas vers la corruption. Qu’avezvous besoin des plaisirs qu’ils vous offriraient ?

N’avez-vouspas vos femmes et vos enfants ?

Eh !Messieurs, peut-on s’exprimer ainsi dans notre monarchie, oùdéjà les spectacles sont établis, oùdepuis longtemps ils sont aimés ! Peut-être un jourdevrez-vous détruire ces petits théâtres, tropnombreux à Paris, qui rapprochent le peuple de la corruptionen l’éloignant des ateliers publics. Cette destruction etvotre décret feront des théâtres françaisdes écoles utiles, où nous nous instruirons d’autantmieux, que nous en estimerons les auteurs et les acteurs.

Jepropose deux amendements à la motion ; et les voici :

1°Sans entendre rien préjuger sur les juifs, sur le sortdesquels l’assemblée se propose de statuer ;

2° Et ausurplus, sans qu’aucun citoyen puisse être éloignédes emplois civils et militaires, par d’autres motifs que par ceuxdéjà déterminés dans les précédentsdécrets de l’assemblée, sanctionnés par le roi.»

Cediscours obtient les plus grands applaudissements.

M.le comte de Mirabeau monte à la tribune, et parle en faveurdes comédiens. On a cité contre eux l’opinion de J. -J.Rousseau ; mais Rousseau avait seulement demandé qu’on segardât bien d’inoculer une pareille institution dans lespays où elle n’existait pas ; dans les pays où lesmœurs sont moins pures, la comédie est plutôt uncontre-poison qu’un poison.

M.de Mirabeau s’attache surtout à montrer qu’à l’égarddes comédiens, c’est une question de possession, attendu qu’iln’y a contre eux aucune loi civile ; il cite au contraire ce passagedu procès-verbal des états d’Orléans : Quandles comédiens régleront les actions du théâtrede manière qu’elles soient exemptes d’impureté,l’exercice de leur profession, qui peut divertir innocemment lespeuples, ne peut leur être imputé à blâme.

M.de Mirabeau.

«Quant aux juifs, on avait insinué qu’eux-mêmes nedésiraient pas l’admission aux emplois qu’on voulait leuraccorder ; mais cette assertion n’était pas exacte, puisquedans une adresse à l’assemblée, ils s’expriment en cestermes : Régénérateurs de l’empire français,non, vous ne voudrez pas que nous cessions d’être citoyens,lorsque, depuis six mois, nous en remplissons si assidûmenttous les devoirs. »

M.de Mirabeau soutient donc que quand les juifs seraient assez avilispour refuser de rentrer dans le droit inaliénable etimprescriptible de la nature humaine, il faudrait le leur accorder,pour les tirer de la dégradation dans laquelle ils sontplongés.

Enfin,après beaucoup de débats, de réclamations, declameurs, l’amendement de M. Beaumetz ayant été adoptéavec la motion principale, le décret est prononcé ences termes :

Lesnon-catholiques qui auront d’ailleurs rempli toutes les conditionsprescrites dans les précédents décrets pour être électeurs ouéligibles, pourront être élus dans tous les degrés d’administrationsans exception.

Les-non-catholiques sont capables de tous les emplois civils et militairescomme les autres citoyens, sans entendre rien préjuger relativement auxjuifs, sur lesquels l’assemblée se réserve de prononcer, et au surplussans qu’il puisse être opposé à l’éligibilité d’aucun citoyen, d’autreexclusion que celle résultant des décrets constitutifs.

 

11IV.ePROJET DE DÉCRET

Sur le Sursis prononcé par leDécret du 30 Mai 1806.

Napoléon,Empereur des Français, Roi d’Italie ;

Surle rapport de notre ministre de l’intérieur ;

NotreConseil d’état entendu,

Nousavons décrété et décrétons ce quisuit :

Art.1.er A compter de la publication du présent décret,le sursis prononcé par notre décret du 30 mai 1806 seralevé dans les six départemens y dénommés,

1.oPour toutes les dettes moindres de cinq cents francs en capital etintérêts ;

2.oPour toutes celles qui ne seraient que le résultat de simplesnégociations de commerce, ou d’achat de meubles ou immeubles.

2.Quant à tous autres billets, lettres de change, engagemens auporteur, obligations, contrats ou jugemens provenant de sommesprêtées en espèces par les Israélitesdesdits départemens à des cultivateurs non négocians,le débiteur sera autorisé à en acquitter lemontant de la manière suivante :

Unsixième comptant,

Etles cinq autres sixièmes, d’année en année, parsommes égales, à la fin de chaque année.

3.Les cinq sixièmes ne porteront, pendant ce délai, qu’unintérêt de cinq pour cent par an.

APARIS, DE L’IMPRIMERIE IMPÉRIALE.

6Juin 1807

 

12PROJETS DE DÉCRETS Relatifs aux Juifs.I.er PROJET DE DÉCRET.10 décembre 1806

 

Art.1.er

Leréglement délibéré dans l’assembléegénérale des Juifs, tenue à Paris le 10 décembre1806, sera exécuté et annexé au présentdécret.

2.Nos ministres de l’intérieur et des cultes sont chargésde l’exécution du présent décret, qui serainséré au Bulletin des lois.

PROJETDE REGLEMENT.

Lesdéputés composant l’assemblée des Israélitesconvoquée par décret impérial du 30 mai ; aprèsavoir entendu le rapport de la commission des neuf, nomméepour préparer les travaux de l’assemblée ; délibérantsur l’organisation qu’il conviendrait de donner à leurscoreligionnaires de l’Empire français et du royaume d’Italie,relativement à l’exercice de leur culte et à sa policeintérieure, ont adopté unanimement le projet suivant :

Art.1.er Il sera établi une synagogue et un consistoireisraélite dans chaque département renfermant deux milleindividus professant la religion de Moïse.

2.Dans le cas où il ne se trouvera pas deux mille Israélitesdans un seul département, la circonscription de la synagogueconsistoriale embrassera autant de départemens, de proche enproche, qu’il en faudra pour les réunir. Le siége de lasynagogue sera toujours dans la ville dont la population israélitesera la plus nombreuse.

3.Dans aucun cas il ne pourra y avoir plus d’une synagogueconsistoriale par département.

4.Aucune synagogue particulière ne sera établie, si laproposition n’en est faite par la synagogue consistoriale àl’autorité compétente ; chaque synagogue particulièresera administrée par deux notables et un rabbin, lesquelsseront désignés par l’autorité compétente.

5.Il y aura un grand rabbin par synagogue consistoriale.

6.Les consistoires seront composés d’un grand rabbin, d’un autrerabbin, autant que faire se pourra, et de trois autres Israélites,dont deux seront choisis parmi les habitans de la ville oùsiégera le consistoire.

7.Le consistoire sera présidé par le plus âgéde ses membres, qui prendra le nom d’ancien du consistoire.

8.Il sera désigné par l’autorité compétente,dans chaque circonscription consistoriale, des notables, au nombre devingt-cinq, choisis parmi les plus imposés et les plusrecommandables des Israélites.

9.Ces notables procéderont à l’élection desmembres du consistoire, qui devront être agrééspar l’autorité compétente.

10.Nul ne pourra être membre du consistoire, 1.o s’iln’a trente ans ; 2.o s’il a fait faillite, à moinsqu’il ne se soit honorablement réhabilité ; 3.os’il est connu pour avoir fait l’usure.

11.Tout Israélite qui voudra s’établir en France ou dansle royaume d’Italie, devra en donner connaissance, dans le délaide trois mois, au consistoire le plus voisin du lieu où ilfixera son domicile.

12.Les fonctions du consistoire seront, 1.o de veiller àce que les rabbins ne puissent donner, soit en public, soit enparticulier, aucune instruction ou explication de la loi qui ne soitconforme aux réponses de l’assemblée converties endécisions doctrinales par le grand sanhédrin ; 2.ode maintenir l’ordre dans l’intérieur des synagogues,surveiller l’administration des synagogues particulières,régler la perception et l’emploi des sommes destinéesaux frais du culte mosaïque, et veiller à ce que, pourcause ou sous prétexte de religion, il ne se forme, sans uneautorisation expresse, aucune assemblée de prière ; 3.od’encourager, par tous les moyens possibles, les Israélites dela circonscription consistoriale, à l’exercice des professionsutiles, et de faire connaître à l’autorité ceuxqui n’ont pas des moyens d’existence avoués ; 4.ode donner chaque année, à l’autorité,connaissance du nombre de conscrits israélites de lacirconscription.

13.Il y aura à Paris un consistoire central, composé detrois rabbins et de deux autres Israélites.

14.Les rabbins du consistoire central seront pris parmi les grandsrabbins ; et les autres membres seront assujettis aux conditions del’éligibilité portée en l’article 10.

15.Chaque année, il sortira un membre du consistoire central,lequel sera toujours rééligible.

16.Il sera pourvu à son remplacement par les membres restans. Lenouvel élu ne sera installé qu’après avoirobtenu l’agrément de l’autorité compétente.

17.Les fonctions du consistoire central seront, 1.o decorrespondre avec les consistoires ; 2.o de veiller danstoutes ses parties à l’exécution du présentréglement ; 3.o de déférer àl’autorité compétente toutes les atteintes portéesà l’exécution dudit réglement, soit parinfraction, soit par inobservation ; 4.o de confirmer lanomination des rabbins, et de proposer, quand il y aura lieu, àl’autorité compétente, la destitution des rabbins etdes membres des consistoires.

18.L’élection du grand rabbin se fera par les vingt-cinq notablesdésignés en l’article 8.

19.Le nouvel élu ne pourra entrer en fonctions qu’aprèsavoir été confirmé par le consistoire central.

20.Aucun rabbin ne pourra être élu, 1.o s’iln’est natif ou naturalisé Français ou Italien duroyaume d’Italie ; 2.o s’il ne rapporte une attestation decapacité, souscrite par trois grands rabbins Italiens s’il estItalien, et Français s’il est Français, et, àdater de 1820, s’il ne sait la langue française en France, etl’italienne dans le royaume d’Italie : celui qui joindra à laconnaissance de la langue hébraïque quelque connaissancedes langues grecque et latine, sera préféré,toutes choses égales d’ailleurs.

21.Les fonctions des rabbins sont, 1.o d’enseigner lareligion ; 2.o la doctrine renfermée dans lesdécisions du grand sanhédrin ; 3.o derappeler, en toute circonstance, l’obéissance aux lois,notamment et en particulier à celles relatives à ladéfense de la patrie, mais d’y exhorter plus spécialementencore tous les ans, à l’époque de la conscription,depuis le premier appel de l’autorité jusqu’à lacomplète exécution de la loi ; 4.o de faireconsidérer aux Israélites le service militaire comme undevoir sacré, et de leur déclarer que pendant le tempsoù ils se consacreront à ce service, la loi lesdispense des observances qui ne pourraient point se concilier aveclui ; 5.o de prêcher dans les synagogues et réciterles prières qui s’y font en commun pour l’Empereur et lafamille impériale ; 6.o de célébrerles mariages et de déclarer les divorces, sans qu’ils puissentdans aucun cas y procéder que les parties requérantesne leur aient bien et dûment justifié de l’acte civil demariage ou de divorce.

22.Le traitement des rabbins membres du consistoire central est fixéà 6,000 F ; celui des grands rabbins des synagoguesconsistoriales, à 3,000 F : celui des rabbins des synagoguesparticulières sera fixé par la réunion desIsraélites qui auront demandé l’établissement dela synagogue ; il ne pourra être moindre de 1,000 F. LesIsraélites des circonscriptions respectives pourront voterl’augmentation de ce traitement.

23.Chaque consistoire proposera à l’autorité compétenteun projet de répartition entre les Israélites de lacirconscription, pour l’acquittement du salaire des rabbins : lesautres frais du culte seront déterminés et répartis,sur la demande des consistoires, par l’autorité compétente.Le paiement des rabbins membres du consistoire central sera prélevéproportionnellement sur les sommes perçues dans lesdifférentes circonscriptions.

24.Chaque consistoire désignera, hors de son sein, un Israélitenon rabbin, pour recevoir les sommes qui devront être perçuesdans la circonscription.

25.Ce receveur paiera par quartier les rabbins, ainsi que les autresfrais du culte, sur une ordonnance signée au moins par troismembres du consistoire. Il rendra ses comptes chaque année, àjour fixe, au consistoire assemblé.

26.Tout rabbin qui, après la mise en activité du présentréglement, ne se trouvera pas employé, et qui voudracependant conserver son domicile en France ou dans le royaumed’Italie, sera tenu d’adhérer, par une déclarationformelle et qu’il signera, aux décisions du grand sanhédrin.Copie de cette déclaration sera envoyée, par leconsistoire qui l’aura reçue, au consistoire central.

27.Les rabbins membres du grand sanhédrin seront préférés,autant que faire se pourra, à tous autres, pour les places degrands rabbins.

 

II.ePROJET DE DÉCRET

Pour l’exécution du Réglementdélibéré dans l’Assemblée généraledes Juifs.

Napoléon,Empereur des Français, Roi d’Italie ;

Surle rapport de notre ministre de l’intérieur,

Nousavons décrété et décrétons ce quisuit :

Art.1.er Pour l’exécution de l’art. 1.er duréglement délibéré par l’assembléegénérale des Juifs, et dont l’exécution a étéordonnée par notre décret de ce jour, notre ministredes cultes nous présentera le tableau des synagoguesconsistoriales à établir, leur circonscription et lelieu de leur établissement.

Ilprendra préalablement l’avis du consistoire central.

Lesdépartemens de l’Empire qui n’ont pas actuellement depopulation israélite, seront classés, par un tableausupplémentaire, dans les arrondissemens des synagoguesconsistoriales, pour les cas où, des Israélites venantà s’y établir, ils auraient besoin de recourir àun consistoire.

2.Il ne pourra être établi de synagogue particulière,suivant l’article 4 dudit réglement, que sur l’autorisationdonnée par nous en Conseil d’état, sur le rapport denotre ministre des cultes, et sur le vu, 1.o de l’avis dela synagogue consistoriale, 2.o de l’avis du consistoirecentral, 3.o de l’avis du préfet du département,4.o de l’état de la population israélite quecomprendra la synagogue nouvelle.

Lanomination des administrateurs des synagogues particulièressera faite par le consistoire départemental, et approuvéepar le consistoire central.

Ledécret d’établissement de chaque synagogue particulièreen fixera la circonscription.

3.La nomination des notables dont il est parlé àl’article 8 dudit règlement, sera faite par notre ministre del’intérieur, sur la présentation du consistoire centralet l’avis des préfets.

4.La nomination des membres des consistoires départementaux seraprésentée à notre approbation par notre ministredes cultes, sur l’avis des préfets des départementscompris dans l’arrondissement de la synagogue.

5.Les membres du consistoire central dont il est parlé àl’article 13 dudit règlement, seront nommés pour lapremière fois par nous, sur la présentation de notreministre des cultes, et parmi les membres de l’assembléegénérale des Juifs ou du grand sanhédrin.

6.Le même ministre présentera à notre approbationle choix du nouveau membre du consistoire central qui sera désignéchaque année, selon les articles 15 et 16 dudit règlement.

7.Le rôle de répartition dont il est parlé àl’art. 23 dudit règlement, sera dressé par chaqueconsistoire départemental, divisé en autant de partiesqu’il y aura de départements dans l’arrondissement de lasynagogue, soumis à l’examen du consistoire central, et renduexécutoire par les préfets de chaque département.